Rien n’est vraiment perdu tant que maman ne l’a pas cherché (citation anonyme)
Le déni : une énigme
Pour une majorité d’entre nous le déni de grossesse est une énigme. Depuis 1970, nous parlons de déni de grossesse pour désigner une femme qui n’a pas conscience d’être enceinte. Auparavant, nous parlions plutôt de grossesse cachée ou secrète.
Le déni et la dénégation de grossesse sont deux choses différentes parfois confondues car difficiles à expliquer. Dans le premier cas, il s’agit d’un moyen de se défendre en refusant de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante tandis que dans la dénégation il y a une prise de conscience de la réalité puis une annulation dans la conscience. C’est un peu comme si la mère coupait sa personnalité en deux (clivage) : l’une sait et l’autre ignore. Ce cas de figure constitue un réel danger pour la mère et l’enfant. Si une mère donne naissance à un enfant et qu’elle annule la réalité en le faisant disparaître, la situation a toutes les chances de se reproduire. Rappelez-vous toutes ces femmes sans histoires qui ont fait les gros titres à la suite de la découverte d’un ou plusieurs corps de nourrissons.
En tout état de cause, gardez une seule chose à l’esprit : le déni n’est pas une manière de berner tout le monde. Il est plutôt question d’un moyen de défense, d’une protection dont le but principal est de canaliser une souffrance.
Notre référence l’affaire Courgault
Souvenez-vous en juillet 2006, un couple français défraie la chronique : 2 bébés sont retrouvés dans le congélateur de leur maison. Jugée en 2009, la maman, Véronique Courgault, sera condamnée à 8 ans de prison pour un triple infanticide. Cette affaire et le procès qui a suivi ont occupé l’espace médiatique 3 ans et animé tous les diners entre amis. Ce déni reste effrayant et donne le sentiment qu’il reste toujours une question qui n’a pas trouvé sa réponse.
Les personnalités types des femmes « déni »
En cherchant bien, nous avons tous dans notre entourage plus ou moins proche une personne qui a été confrontée au déni de grossesse. Il n’est pas un symptôme rare et nombre de femmes dans des situations plutôt banales prennent conscience assez tardivement de leur état de grossesse. Pourtant, je ne dirais pas que le déni peut arriver à tout le monde. Les femmes dans le déni ont du mal à interpréter les messages envoyés par leur corps. En général, il arrive dans les familles où le néant affectif règne. Attention aussi à ces femmes qui disent s’entendre avec tout le monde, ne jamais avoir de conflits; c’est l’eau qui dort. Si l’on pouvait brosser un portrait type des mères dont la fille a été victime d’un déni de grossesse, il serait celui d’une femme avec des troubles dépressifs. Cette mère qui n’a jamais su évaluer et répondre aux besoins affectifs de sa fille enfant a pu entraîner chez sa fille un risque de grossesse déniée.
Où se trouve le petit être ?
Lorsqu’une femme est sous contraceptif oral plus ou moins bien pris de façon régulière, des règles peuvent survenir tout au long de la grossesse. L’endomètre se fait dans le canal cervical (canal qui communique avec la cavité utérine) et entraîne des menstruations régulières mais moins abondantes. L’utérus quant à lui, ne s’incline pas et reste debout laissant l’enfant se développer dans cette position. Le psychisme étant plus fort que tout, l’apparence physique de la mère ne se modifie pas forcément ou très peu. En revanche, en cas de découverte tardive de la grossesse par la mère en déni, il ne suffira que de quelques heures pour qu’elle subisse d’importantes transformations corporelles et que son « gros ventre » soit visible de tous. Cette révélation est souvent faite suite à une consultation basique pour des troubles digestifs ou des douleurs abdominales.
Si à aucun moment le déni ou la dénégation n’a été pris en compte comme un appel à l’aide ou un symptôme de mal être mais attribué à un côté « farfelu » de la maman, le professionnel de santé et la famille sont inconsciemment mêlés à ces drames solitaires.
Un schéma qui se répète
Une femme qui a vécu le déni est toujours difficile à faire parler et à comprendre. Elle a beaucoup de difficultés à exprimer ses sentiments. Elle ne sait pas quels mots choisir pour qu’on ne la qualifie pas de mauvaise mère. Que l’issue soit heureuse ou non, il est important de prendre en considération l’événement comme un symptôme de mal être de la maman et de l’aider pour que la situation ne se répète pas. Malheureusement, encore aujourd’hui, certains médecins croient à la mascarade et ont parfois l’impression que la maman a cherché à camoufler sa grossesse volontairement.
En début d’article, je parlais de l’affaire Courgault, cette femme sans histoires et inconnue du Grand public qui a été médiatisée pendant des mois. Si une femme accouche seule, qu’elle annule la réalité de la naissance en supprimant l’enfant, qu’elle reprend le cours de sa vie, l’événement se reproduira. Absolument toutes les mères néonaticides présentent des antécédents de déni dans leur parcours obstétrical. Bien sûr tous les dénis ne finissent pas en drame mais un déni est le signe d’une vie affective amputée et doit être traitée pour que la situation ne se reproduise pas. Il y a une grosse différence entre ce que nous sommes en société, ce qu’on veut bien montrer et ce que l’on vit au plus profond de soi. Attention à la face cachée de la lune, la carence affective ne transpire pas forcément mais cette faille demeure et empêche de ressentir vraiment.
Néonaticide
Il est bien facile de s’identifier à la mère aimante et maternante mais bien plus gênant de se retrouver dans la haine que tout acte meurtrier réveille. Notre société donne une place centrale à l’enfant et fait passer la détresse d’une mère au second plan. A grands coups de matraquages médiatiques, l’enfant est devenu roi. Je disais un peu plus haut que tous les dénis ne finissent pas en drame, sur 5 néonaticides, 4 ne portent aucune trace de violence. Tout ça pour vous faire comprendre que lorsqu’une femme ignorant sa grossesse est prise de violents maux de ventre, son premier réflexe est d’aller aux toilettes plutôt qu’à la maternité. Pour celles qui ont vécu un accouchement, il faut bien reconnaître que c’est inhumain d’accoucher seule. La violence de la confrontation entre le réel et la douleur laisse la porte ouverte à des comportements irrationnels. Souvent la mère tire la tête du nouveau-né et le prive d’oxygène, à cela peut s’ajouter l’arrachement du cordon ombilical qui favorise un arrêt cardiaque. Les douleurs de l’accouchement peuvent altérer profondément et momentanément les représentations de la femme qui se venge de la douleur que lui a occasionné ce qui vient de sortir d’elle. Dans ce cas des traces de strangulation, de coupures ou de gestes de noyade délibérée sont parfois repérés sur l’enfant.
Coupable
Quel est votre sentiment lorsque vous lisez un article relatant un néonaticide ? Que pensez-vous de cette mère meurtrière ? J’ai regardé la réaction des gens sur les réseaux sociaux et je retrouve toujours les mêmes termes : monstre, indigne d’être mère, méritant la prison à vie…
Pourtant pour qu’un déni se profile ne faut-il pas être deux ? Ah bien sûr le papa n’est jamais au courant, il n’a rien vu, rien entendu, il travaille trop ou il est déjà marié. Si une grossesse est menée à terme sans que personne ne s’aperçoive de rien, c’est bien que deux familles : celle de Monsieur comme celle de Madame sont aveugles ou réunies par une même problématique irrésolue. Une problématique affective. Je dis souvent que les inconscients s’attirent et qu’on ne choisit pas son conjoint par simple hasard. Quant au papa il peut avoir plusieurs profils :
- Naïf : A quoi sert de mettre des mots sur le plaisir ou la contrariété ? Il vaut mieux vivre sans se poser de questions. Sa compagne l’a choisi pour ça, elle a senti qu’ils pouvaient être heureux en s’ignorant.
- Névrosé : Il s’agit d’un homme plutôt franc et impulsif qui a du mal à considérer sa femme devenue mère comme une épouse avant tout.
- Pervers : Peu importe les événements, il apparaîtra aux yeux de tous comme lavé de tout soupçon. Les femmes sous l’emprise de ce type de personne n’ont pas confiance en elle et les dénis sont souvent graves. La grossesse n’est en fait qu’un symptôme des violences psychologiques vécues. Le pervers, lui, saura tirer profit de la situation.
Conclusion
Si mon article vous a plu et que vous souhaitez en savoir plus, je vous recommande le livre de Sophie Marinopoulos et Israël Nisand Elles accouchent et ne sont pas enceintes qui m’a beaucoup inspirée et m’a aidée à comprendre.
Nombre de femmes dans des situations banales prennent conscience tardivement de leur grossesse.
Dans l’affaire Courjault que j’évoquais dans mon introduction et qui a débuté en juillet 2006, 2 bébés
avaient été retrouvés dans le congélateur de leur maison. Tous les dénis de grossesse ne finissent pas
par un néonaticide mais avant de juger il faut garder à l’esprit que la maternité est une véritable
épreuve. Une épreuve personnelle, intime, singulière, unique qui comporte des risques physiques,
mais aussi psychiques. Affronter la maternité et l’enfantement, c’est se confronter à sa propre
histoire et de surcroît à celle de toute une famille. C’est se confronter à l’histoire de ses propres
parents, grâce à qui et par qui on devient parent à son tour. Et parfois, la souffrance est au rendez-vous, si intense et si grave que plus rien ne peut se dire, que plus rien n’existe et que la raison est
débordée par la douleur. Ces femmes sont parfois nos sœurs, nos amies ou nos voisines.
Bien sûr ne pas sanctionner le néonaticide reviendrait à participer au déni mais trop
sanctionner équivaut à oublier l’irresponsabilité transitoire de la femme en train d’accoucher.
Nous n’avons pas à prendre position dans des histoires si complexes qu’on soit professionnel de
santé ou citoyen lambda ; Le déni existe et fait souffrir des familles et nous devons simplement aider, à notre manière, les mères qui le vivent.